Premier jour, de Guanay à Tomachi sur le Rio Kaka
Cette première journée a été bien remplie. Elle commence à 7h en terminant de préparer mes sacs à dos. Je prépare mon sac de randonnée d'un côté et mon sac étanche de l'autre. L'espace étanche est fait de telle manière à contenir l'essentiel si je dois quitter le bateau de façon précipitée.
Benjamin prépare le petit déjeuner pendant que Fabien coupe les pointes du bateau pour plus d’esthétisme et que je fais chauffer l’eau pour un maté. En ce jour particulier nous allons être bien contents d’en boire un avant l’effervescence de la journée.
Je m’occupe de derniers détails logistiques : essayer de retirer des sous, faire quelques achats de fruits et légumes et récupérer notre lessive.
Une cérémonie de départ est prévue à 10h et nous devons charger toutes nos affaires dans la lancha (pirogue) de l’armée qui nous accompagne.
La cérémonie débute finalement à 10h45, ponctualité bolivienne, et dure 30 minutes. Je me rends compte de l’importance pour les habitants du village de cette expédition et du moment historique pour eux comme ils aiment à le décrire. Un peu plus de 20 ans plus tôt une autre expédition Kota Mama III avait pris le départ de cette ville.
Nous répondons à tour de rôle à la presse locale et prenons des photos avec les personnes venues fêter notre départ.
À 11h30, le moment tant attendu arrive : le départ. Nous allons commencer à naviguer sur ce fleuve à travers l’Amazonie, tester nos équipements et notre bateau en conditions réelles.
Fabien, le capitaine et porteur de projet, fait un départ tout en douceur en remontant le courant puis en tournant pour rentrer progressivement dans le courant. La lancha part en première pour nous ouvrir la route et nous indiquer les passages difficiles, et le zodiac avec les plongeurs ferme la route pour nous venir en soutien si besoin.
On passe les premiers rapides, ce qui nous permet de tester notre bateau et la navigation dans ces conditions. Nous passons ces rapides avec le moteur pour nous permettre plus de réactivité en cas de danger.
Les paysages sont grandioses. De chaque côté du fleuve, les montagnes montent à pic, recouvertes d’une épaisse végétation tropicale laissant apparaître de temps en temps des parois rocheuses massives aux teintes blanchâtres.
Après 2h de navigation, nous nous arrêtons sur une berge de sable car la lancha a un problème moteur. Nous y restons 3h car le moteur a serré, dû à un problème de refroidissement. On nous amène donc par voie terrestre un nouveau moteur pour pouvoir repartir.
1h plus tard, au passage d’un rapide au niveau d’un embranchement, nous nous trompons de côté et, en faisant la manœuvre pour remonter le courant, nous perdons le safran... Fabien a la bonne réaction de demander au zodiac d’essayer de le retrouver. De notre côté, nous sommes échoués sur la berge et descendons du bateau pour le tracter en remontant le courant. La lancha arrive à notre hauteur et finalement nous nous accouplons au bateau pour qu’il nous remorque jusqu’à un banc de sable plus tranquille.
Une fois là-bas, nous reprenons nos esprits et réinstallons le safran, qui a pu être repêché par les militaires du zodiac. Plus de peur que de mal !
Nous arrivons vers 18h30 à Tomachi où nous établirons notre premier camping. Je me fais surprendre par la profondeur à quelques mètres de la rive en descendant pour l’amarrer.
Je prends énormément de plaisir à cuisiner en extérieur sur feu de bois et rocket stove réalisé par les militaires la veille de notre départ.
Au menu du repas du soir : pâtes sauce courge, locoto (piment doux bolivien), oignons, poivrons, origan, accompagné de guacamole et de maïs grillé au feu de bois.
Deuxième jour, de Tomachi à Puerto Pandon
Je me réveille un peu avant mon alarme de 6h30. Je prends le temps de commencer le résumé de la journée d’hier avant de plier mes affaires et ma tente. Benjamin s’est occupé du petit déjeuner et nous a préparé un porridge, très pratique en voyage car les ingrédients ne prennent pas beaucoup de place et c’est très nutritif. Arriver à en faire un goûtu et savoureux n’est pas des plus simples, mais c’était bien réussi en tout cas pour ce matin !
On lève le camp à 8h après avoir finalisé quelques réglages et le rangement de nos affaires. La journée s’annonce intense avec encore de nombreux rapides et beaucoup de passages proches de mines.
La matinée commence tranquillement, nous faisons des rotations aux différents postes : barre, ramage, vigie et moteur. Lors d’un rapide, nous passons sur un haut-fond (au-dessus d’un gros caillou), ce qui fait se décaler une coque par rapport à l’autre. Nous nous arrêtons un peu plus loin pour régler le poste de rame et le support moteur.
Nous reprenons la route et, après un virage serré, alors que nous pensions être tirés d’affaire, on voit sortir de nulle part un fil électrique traversant le fleuve. Nous n’avons pas le temps de l’éviter ou de réagir d’une quelconque manière. Nous le percutons avec le mât du bateau et l’arrachons sur notre passage. Plus de peur que de mal, mais ça aurait pu être pire...
Nous faisons une pause pour attendre le zodiac parti à la recherche de nourriture et la lancha arrêtée aux abords d’un village pour réparer le moteur (à nouveau) de l’embarcation. Pendant cette pause, nous nous faisons offrir, par l’intermédiaire de l’équipe à terre, les repas du midi par des villageois que nous n’aurons pas eu le plaisir de rencontrer.
Nous reprenons la route à travers ces paysages qui restent montagneux. La roche change de couleur et devient rouge ocre, la forêt disparaît sur les abords du fleuve, victime de la déforestation, pour laisser place à des prairies ou des champs de bananiers. Mais ce qui prédomine reste les mines d’or de toutes tailles. Ce sont principalement de grosses dragues qui, depuis le fleuve, creusent les flancs de la rivière pour y extraire le précieux métal.
Pour se maintenir, d’énormes câbles en acier traversent le fleuve et nous serrons les fesses à chaque fois que nous devons passer en dessous, le plus souvent en entrée de virage et de rapide, ce qui complexifie la navigation.
Nous arrivons au campement à 18h avec le soulagement de pouvoir clôturer cette journée de navigation.
Une fois amarrés, chacun s’affaire à ordonner le bateau, monter le campement ou préparer le repas. Les militaires, étant arrivés un peu plus tôt, ont pris le soin d’allumer le feu et de choisir l’aire de camping.
Une nouvelle fois, le ciel étoilé est splendide bien que le village proche génère de la pollution lumineuse. C’est si agréable de se retrouver en extérieur et de pouvoir cuisiner sur feu de bois à même le sol.
Au menu du repas du soir ce sera : wok de quinoa au brocoli, oignons, carottes, banane plantain, ail, gingembre, anis, sauce soja + salade de haricots verts + tartine de fromage à l’ail noir et tartinade d’artichaut.
Troisième jour, de Puerto Pandon à Torewa
Après avoir plié toutes nos affaires, nous nous rendons dans le village pour prendre le petit déjeuner qu’une habitante nous a gentiment proposé de nous offrir la veille à notre arrivée.
Après avoir rangé le bateau et fait quelques réglages, nous sommes prêts à partir. Sur cette partie, nous avons moins de rapides à passer et le courant est moins fort.
Nous commençons au moteur pour régler le poste de ramage dont nous n’avons pas eu l’énergie de nous occuper la veille. On installe avec Fabien une mousse pour plus de confort et un élastique pour tester le retour automatique du skateboard.
Les réglages sont très confortables et me renouent avec le ramage.
Nous terminons le rio Kaka à la confluence avec le rio Alto Béni pour entrer dans le fleuve Béni. Le paysage s’ouvre assez rapidement et nous croisons beaucoup d’exploitations agricoles. Les exploitations minières, quant à elles, diminuent.
Alors que nous étions repassés au moteur, nous calons à plusieurs reprises sans raison apparente. Nous faisons une pause sur une berge avant un virage pour regarder tout ça. Plusieurs hypothèses sont émises, mais nous avons besoin de temps pour les valider ou les infirmer.
Nous reprenons la route sans Fabien, qui a été embarqué sur la lancha pour être déposé au niveau d’un détroit où ils nous attendent pour filmer le bateau avec un drone.
De part et d’autre du fleuve se dressent des falaises de plusieurs centaines de mètres, de couleur ocre orange, sacrées pour les peuples locaux, dont certaines parois sont gravées.
Nous avançons à la rame dans ce canyon forgé par la puissance de l’eau qui s’y engouffre.
Alors que nous arrivons dans un rapide, le moteur est de plus en plus capricieux et ne veut plus se rallumer. Nous le passons à la rame puis nous nous amarrons au bateau pilote qui nous tracte pendant quelques heures.
Ça nous laisse le temps de préparer le repas pour la première fois sur le bateau !
Au menu du midi : salade composée chou vert, oignons rouges, carottes, ail, concombre, olives noires, fromage frais à l’huile et ail confit, moutarde, jus de citron et huile d’olive.
En dessert, de l’ananas et de la papaye nous permettent de terminer sur une touche sucrée avant de reprendre le ramage.
Avec cette pause, nous avons aussi pu réfléchir à la panne de notre moteur et il s’agit d’un capteur d’huile qui met le moteur en sécurité. Nous le déconnectons le temps de vérifier à froid le niveau d’huile.
Sur la fin du trajet de la journée, nous croisons beaucoup de troncs d’arbres échoués sur les bancs de sable. De ceux-ci, une quantité de jeunes pousses émerge. Je m’étonne de la capacité de la nature à recréer la vie dans des environnements qui semblent pourtant très inhospitaliers.
Nous nous arrêtons en face d’une magnifique montagne qui se teinte de rouge, rose et orange lors du coucher de soleil.
Au menu de ce soir : pâtes sauce champignons, soja texturé, locoto (piment doux de la forme d’un poivron), oignons, ail.
Nous prenons le temps de nous remémorer la journée et de faire un point de notre état d’énergie après ces trois premiers jours de navigation, le tout sous l’un des ciels étoilés les plus incroyables que j’ai pu observer jusque-là.
Quatrième jour, de Torewa à Rurrenabaque
Cette journée est la dernière de la première partie de ce long voyage. Elle est un peu particulière car nous devons arriver à 16h précises à la capitainerie du port Buenaventura pour une cérémonie d’accueil.
Nous levons donc le camp assez tôt pour avoir le temps de parcourir les 45 km de la journée.
Alors que nous naviguions paisiblement, la lancha et notre bateau se tanquent dans un banc de rochers que nous n’avions pas anticipé.
Nous poussons dans l’eau tout d’abord la lancha, puis notre bateau, avec lequel nous repartons en prenant de l’avance le temps que la lancha finisse de se libérer complètement.
Nous appréhendons de plus en plus le ramage, qui devient un vrai plaisir, même s’il reste des améliorations à faire sur ce poste pour qu’il soit encore plus agréable. Notamment, nous devons changer les roulements du skateboard, qui nous sert d’assise, car ils sont complètement fichus et nous avons déjà perdu plusieurs billes...
Aussi, le support pour les pieds est à déplacer pour le positionner plus bas et ainsi permettre d’avoir plus d’amplitude et plus de force déployée.
Nous nous arrêtons le midi dans le village San Miguel del Bala après avoir passé un autre magnifique canyon sous la pluie.
Cette communauté, proche de Rurrenabaque, a l’habitude d’accueillir des touristes. Nous sommes accueillis tout d’abord avec des noix de coco dont nous buvons l’eau et pour lesquelles nous nous essayons à la découpe. Nous réussissons à garder tous nos doigts et à en savourer le précieux liquide ainsi que sa chair.
Nous nous dirigeons ensuite vers le restaurant du village pour savourer un tujuno frit (poisson amazonien) servi avec de la banane plantain et du riz.
C’est le ventre bien plein que nous reprenons notre route après avoir slalomé entre les branches plantées dans le fond du lit du fleuve.
Nous arrivons un peu en avance aux abords de Rurrenabaque et nous arrêtons sur une petite plage pour attendre l’arrivée des premiers journalistes. Nous jouons et échangeons avec des enfants du village.
Le feu vert est donné et nous remontons sur notre bateau en direction de la capitainerie. Le trajet se fait à la rame, entourés par le bateau de la presse.
À notre arrivée, nous sommes surpris par l’ampleur de l’accueil qui nous est réservé.
Nous faisons notre manœuvre après avoir dépassé légèrement la zone où nous devons nous amarrer afin de permettre aux personnes présentes de bien voir le bateau.
À notre arrivée, une passerelle est portée et posée sur le bateau pour nous permettre une sortie de l’embarcation plus simple.
La fanfare se met à jouer et l’audience nous applaudit. Nous enchaînons les poignées de main pour saluer l’ensemble des gradés de la navale.
Après les premières photos, les discours de bienvenue débutent. Nous sommes accueillis par le maire de la municipalité de Buenaventura qui délivre une lettre d’honneur à l’ensemble des membres d’équipage.
S’ensuivent quelques entrevues avec les journalistes présents et quelques photos avec les personnes venues nous accueillir.
Nous sommes honorés par la chaleur de cet accueil et par le formalisme de la cérémonie auquel nous n’étions pas habitués.
Nous sommes logés dans la capitainerie sur toute la durée de notre séjour pour procéder aux courses, réparations et améliorations.